lundi 28 octobre 2013

Voici pourquoi Frédéric Mitterrand aimait Ben Ali

Découvrez comment Frédéric Mitterrand, ancien ministre devenu interviewer sur France Inter, a délibérément menti, devant près de deux millions de téléspectateurs, au sujet de sa proximité passée avec le clan Ben Ali.
- Pendant votre mandat, ont lieu les révoltes en Tunisie, un pays auquel vous êtes très attaché. Ça se ressent dans votre livre.

- Je suis « tunisifié », c’est normal. Mais je ne pouvais pas faire plus. Cela dit, j’ai un peu dit une connerie quand j’ai dit que ce n’était pas une « dictature univoque ». En même temps, c’est vrai, ce n’est pas Bachar el-Assad, Kadhafi, ou Hussein. Il n’a pas tué, il a volé. 

Tels sont les mots employés hier par Frédéric Mitterrand lors de son entretien avec le journaliste du quotidien 20 minutes.


 

L’ancien ministre de la Culture effectue actuellement la promotion médiatique de son dernier ouvrage consacré à son immersion antérieure dans la vie politique aux côtés de Nicolas Sarkozy.

Une semaine auparavant, l’homme enregistrait une longue interview complaisante sur le plateau de l’émission On n’est pas couché de France 2. En hausse d’audience, le talk-show avait alors réuni 1 753 000  téléspectateurs.


Interrogé brièvement (à 42’35) sur son rapport à la Tunisie, l’écrivain a proféré, sans être contredit, un grossier mensonge doublé d’une omission.

  • Le mensonge : à propos de ses relations avec les Ben Ali, Frédéric Mitterrand a ainsi affirmé (à 43’23) n’avoir jamais eu de « contact » avec le couple au pouvoir de 1987 à 2011. C’est faux : dans un entretien exclusif accordé -en juillet 2012- au Parisien, Leila Trabelsi, épouse de l’ancien président tunisien, avait rendu hommage à l’ex-ministre, « le seul » à les avoir « soutenus jusqu’au bout ». Frédéric Mitterrand, décoré à deux reprises par Zine el-Abidine Ben Ali, avait également obtenu la nationalité tunisienne. Au lendemain de la chute du despote contraint à l’exil, il avait affirmé ne pas l’avoir sollicité. « Il se trouve que, sans doute peut-être, le régime a essayé de me récupérer en me donnant la nationalité, mais je n'ai pas fait de compromis, aucun », avait alors assuré Mitterrand sur France Inter.


Or, c’est, là aussi, une contre-vérité : début 2012, deux journalistes de Mediapart avaient révélé qu’il avait lui-même demandé la nationalité tunisienne à son ami Abdelwahab Abdellah -un pilier du clan Ben Ali- afin de pouvoir réaliser une transaction immobilière sur place.

  • L’omission : la proximité de Mitterrand avec l’appareil d’Etat tunisien a-t-elle favorisé son impunité au regard de la loi locale, particulièrement répressive, en matière de relations sexuelles tarifées ? A ce sujet, le passage suivant est éloquent.

« L’échange paraît facile… mais la transgression est absente. On sert de femme de remplacement et de livret de caisse d'épargne; les beaux gosses arrivent comme au sport et pour financer l'électroménager de leur futur mariage avec la cousine choisie par leur mère… ce sont les familles qui mènent le jeu et gagnent à tous les coups… de vieilles folles compulsives y trouvent leur avantage… puis les garçons disparaissent d'un seul coup… la fatigue ne vous donne plus très envie de continuer ».

En ces termes, Frédéric Mitterrand dévoilait la face obscure de son amour pour la Tunisie. C’était en 2005, à l’occasion de la parution de son ouvrage intitulé « La mauvaise vie ». Ce récit crû et mélancolique relatait alors les expériences transgressives d’un esthète voyageur en mal de sensations fortes. Ainsi, à défaut de pouvoir s’aventurer dans les bordels d’Asie du Sud-Est, le narrateur admettait recourir à une alternative plus commode : la « solution Maghreb ». Fin 2009, lors de la révélation médiatisée de passages faisant état de relations avec des « garçons » en Thaïlande, le journaliste de L’Express Jérôme Dupuis s’était livré à une analyse détaillée du récit. A propos du passage concernant la Tunisie, son commentaire fut explicite : « Ce qu'il appelle crûment la "solution Maghreb" (comprendre le tourisme sexuel en Afrique du Nord) serait une impasse, car les compagnons d'une nuit ne souhaitent pas le suivre en France. "Le minet n'immigre pas", conclut-il avec regret… ».

Mauvaise passe


Plus loin, le critique littéraire renchérissait : « C'est pourtant un chapitre consacré à la Tunisie qui, peut-être, suscite chez le lecteur la plus grande gêne. Frédéric Mitterrand y raconte, en une scène déchirante, comment il emmène vivre avec lui à Paris un garçonnet tunisien, l'arrachant à une mère évidemment consentante mais éplorée. Pour l'éducation de ce "fils adoptif", le ministre se démène sans compter et se prive de vie mondaine. L'enfant, turbulent, lui mène la vie dure, arrachant à Frédéric Mitterrand cette réflexion – où comme toujours la franchise ouvre directement sur l'inconscient : "Je me demandais parfois si je serais capable de me donner tant de mal pour une petite fille. Les garçons touchaient évidemment à quelque chose de plus intime et de plus ambigu – quoique…" ».


Lors d’une interview spéciale avec Laurence Ferrari en octobre 2009, Frédéric Mitterrand -alors critiqué pour son soutien à la libération de Roman Polanski- avait précisé qu’il ne se livrait nullement, dans ce « récit pas totalement autobiographique »,  à « l’apologie du tourisme sexuel ».  Une pratique qu’il « condamne » même s’il a reconnu avoir commis tout au plus « une faute contre l’idée de la dignité humaine » à propos de ses relations « tarifées ». Solennel, le ministre enfonçait le clou : « Il faut se refuser absolument à ce genre d'échange ».



La tempête est passée et Frédéric Mitterrand est resté à son poste. Curieuse faveur : alors que l'ex-secrétaire d’Etat Georges Tron, soupçonné d’agression sexuelle, avait dû rapidement démissionner, l'ancien ministre de la Culture continua d’exercer ses fonctions alors qu’il avait auparavant confessé, de manière à peine voilée, avoir commis des actes susceptibles d’être considérés comme délictueux au regard du droit international. A cette protection s’ajoute celle de l’ancien régime de Ben Ali : comme il l’a reconnu en février 2011, Frédéric Mitterrand dispose -grâce au despote déchu qui le lui avait octroyé- de la nationalité tunisienne. Or, dans ce pays, la loi était particulièrement sévère à l’encontre du citoyen lambda ayant recours à la prostitution. Derrière la légende dorée d’une Tunisie progressiste et libérale sur les mœurs, une législation féroce, comme celle des autres pays arabes, était toujours en vigueur pour sanctionner durement les pratiques sexuelles hors-mariage ou l’affichage de l’homosexualité. Frédéric Mitterrand a visiblement bénéficié d’une impunité extraordinaire lors de ses fréquents séjours en Tunisie en comparaison du citoyen de base. Rien de surprenant, dès lors, à l’entendre défendre tacitement Ben Ali quelques jours avant son départ contraint -alors que le sang des manifestants avait pourtant déjà coulé.

Rédigé en février 2010, un câble diplomatique -divulgué par Wikileaks- de l’ambassade américaine de Paris souligna d’ailleurs le rôle déterminant de Frédéric Mitterrand dans l’apaisement des tensions entre Paris et Tunis à propos de la « persécution des journalistes » tunisiens.

Quant à Nicolas Sarkozy, le favoritisme qu’il prodigua au neveu de l’ancien Président Mitterrand n’a pas été entamé par la lecture de l’ouvrage controversé, bien au contraire- comme l’avait expliqué son auteur au Nouvel Observateur :

« J’ai parlé avec Nicolas Sarkozy à trois reprises de « la Mauvaise Vie ». La première fois, c’était pendant la campagne présidentielle, lors d’une rencontre informelle, hors de tout enjeu politique direct. Nicolas Sarkozy venait de lire mon livre. Sans céder au narcissisme, je crois pouvoir dire qu’il l’avait beaucoup aimé. J’ai surtout eu le sentiment qu’il l’avait compris. Nous en sommes restés là ».

Gratitude en retour : lors du festival de Cannes de 2011, l’ex-ministre avait affirmé qu’il ferait « ce qu’on lui demandera de faire » pour appuyer la future candidature de Nicolas Sarkozy. Six ans auparavant, Frédéric Mitterrand admettait pourtant n’avoir « aucune sympathie » pour celui qui était alors le dirigeant de l’UMP. La convoitise d’une promotion sociale peut embellir soudainement les êtres jadis méprisés.

Les yeux fermés de Ben Ali


Depuis la parution de son ouvrage en 2005, et notamment depuis la fin de son mandat à la Culture entre 2009 et 2012, Frédéric Mitterrand, reconverti désormais en interviewer sur l’antenne du service public de France Inter, n’a jamais eu à s’expliquer sur les passages consacrés à la Tunisie et sur ce qu’il nomme lui-même la « solution Maghreb », à savoir l’exploitation sexuelle de la misère locale. Alors qu’une affaire de moeurs -à propos d’un ancien ministre s’adonnant à la pédophilie au Maroc- avait provoqué -il y a deux ans- un vif débat au sein de la classe politique, une autre révélation est passée totalement sous silence. C’était le 17 février 2011 sur l’antenne d’Europe 1 : interrogé sur les conséquences de la révolution tunisienne, l’ex-journaliste Jean-François Kahn, fin connaisseur -de l’intérieur- du sérail politique, a lâché brutalement un propos détonnant qui n’a pas été relevé par la presse écrite et audiovisuelle :

« Il y a encore six jours, monsieur Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture -la Culture !- disait « Ce n’est pas une dictature » ! Et quand on sait quelles sont les activités auxquelles se livrait monsieur Mitterrand en Tunisie, il aurait dû se taire ! C’est ignoble, c’est une abjection, l’attitude de monsieur Mitterrand ».


Quelles sont précisément ces « activités » innommables auxquelles fait référence Jean-François Kahn ? Mystère. Contrairement à la confidence déguisée de Luc Ferry au sujet d’une personnalité politique ayant commis des actes délictueux au Maroc, l’allusion quasi-diffamatoire d’un initié comme Jean-François Kahn n’a, depuis, suscité aucun remous. Une omerta tranquille, en quelque sorte.

Frédéric Mitterrand est décidément né sous une bonne étoile : couvert par Ben Ali, choyé par Sarkozy et épargné par un microcosme médiatique qu’il finança en partie par les aides à la presse, cet homme de réseaux peut s’enorgueillir d’avoir réussi à conquérir la place d’un notable influent tout en ayant confessé la vie d’un crypto-touriste sexuel qui a fait fi des lois en vigueur. Dans n’importe quelle démocratie scandinave ou anglo-saxonne, un tel grand écart aurait été inimaginable. En France -nation qui se flatte d’avoir « aboli les privilèges » en 1789, ce traitement de faveur est possible. Cherchez l’erreur.


Hicham HAMZA
http://www.panamza.com/24102013-onpc-mitterrand-tunisie