jeudi 3 décembre 2015

Daech en Libye. Au secours Poutine !

L’organisation terroriste s’introduit dans ce pays déchiré politiquement pour en faire un point d’ancrage hors de la zone irako-syrienne, et bénéficie même parfois du soutien de la population.

Attentat dans un hôtel de luxe, exécution filmée, crucifixion ou encore distribution de friandises pour célébrer les attentats de Paris, l’organisation État islamique (EI) est en Libye depuis octobre 2014 seulement, mais elle a déjà réussi à imposer la peur. A Tripoli, l’EI se fait sentir par l’absence de vie le soir, quand les familles avaient l’habitude de faire leurs courses. A partir de 22 heures, tous les rideaux métalliques de la rue Jaraba, dans le centre-ville, sont baissés. «A 19 heures, je suis chez moi, raconte Mohamed, qui loge dans le quartier. Je ne vais plus dans les cafés pour regarder le foot.» Cet ancien garde du corps d’une ambassade occidentale n’est pourtant pas du genre craintif. Mais l’attentat de l’hôtel cinq étoiles Corinthia, qui a fait neuf morts le 27 janvier, a changé la donne. Les Libyens savent que l’EI peut frapper à tout moment.
L'Etat islamique en Libye

Nouveau maître

En février, à leur arrivée à Syrte, ville située sur la côte méditerranéenne, les combattants de l’EI étaient 400, selon le sergent Mohamed Turky, de la Chambre opérationnelle militaire de Misrata. Aujourd’hui, ils seraient cinq fois plus. «Les jihadistes arrivent surtout par le désert du Sud libyen, explique un militaire. Avec les bombardements internationaux en SYRAK, nous avons constaté plus d’arrivées de jihadistes à Syrte. Il faut que les cibles soient coordonnées : si les pays frappent en Syrie et en Irak, il faut aussi le faire ici.» Lier la situation du Moyen-Orient à la lutte contre l’EI en Libye, c’est également la volonté du président du Conseil italien, Matteo Renzi, qui a déclaré le 26 novembre que la Libye «risque d’être la prochaine urgence».
Devant la difficulté de se rendre dans les régions historiques du jihad en Syrie et en Irak, les penseurs de l’EI ont également décrété la Libye terre de jihad. En un peu plus d’un an d’existence, l’Etat islamique s’est non seulement renforcé, mais s’est étendu et a diversifié ses activités. En octobre 2014, Derna, dans l’est, devient la première base de l’EI hors de la zone irako-syrienne. La ville est connue pour être très conservatrice : 800 combattants seraient partis pour rejoindre la Syrie.
L’organisation profite de la division politique pour s’ancrer - depuis août 2014, deux Parlements rivaux se disputent le pouvoir, l’un à Tripoli, l’autre à Tobrouk. 
Suite à l’attentat du Corinthia, l’EI publie, le 15 février, une vidéo dans laquelle 21 chrétiens - 20 coptes égyptiens et un Ghanéen - kidnappés en Libye sont égorgés. A la même époque, le groupe jihadiste fait main basse sur la ville de Syrte. Le fief kadhafiste n’est pas foncièrement hostile à son nouveau maître. Depuis l’Égypte, Ahmed Gaddafi Dam, cousin de l’ancien Guide, qualifie les combattants de l’Etat islamiste de jeunes au «cœur pur». L’alliance entre les nostalgiques de la Jamahiriya (le nom de la Libye kadhafiste) et les takfiristes (des extrémistes qui pratiquent l’anathème contre les «autres musulmans») sonne étrangement alors que Kadhafi avait lancé des campagnes violentes avec pendaisons publiques contre les islamistes dans les années 80-90. Cette alliance rappelle celle des anciens baathistes irakiens, et l'enrôlement des ex militaires de Saddam avec DAECH. Mais l’EI a su jouer des rivalités locales et des rancœurs datant de la révolution de 2011.
Misrata et Syrte, séparés de 250 km, se disputent la zone d’influence. Après quarante-deux ans d’hégémonie de Syrte, Misrata, dont les brigades ont été le fer de lance de la révolution, reprend la main sur la région. «Quand l’Etat islamique est arrivé, les habitants de Syrte ont vu le moyen de se venger de Misrata», raconte Imad (1), originaire de Syrte. L’EI attaque également des sites du croissant pétrolier libyen, situé au sud de Syrte. Cependant, contrairement à l’Irak, le groupe terroriste détruit les installations plutôt que de les utiliser. La menace est suffisamment inquiétante pour que Misrata, principal soutien du pouvoir de Tripoli, tente de reprendre Syrte. En vain.

Liberté d’action

En mars, des combats ont lieu. Non seulement l’EI résiste, mais il fait reculer l’ennemi. Les brigades de Misrata n’osent pas recourir aux bombardements intensifs pour ne pas s’aliéner, une fois encore, les habitants. Résultat, les quelque 1 400 hommes impliqués se contentent d’assurer un cordon de sécurité assez lâche. 
A l’ouest, la première base est à Abou Qurayn, à 150 km de Syrte ; dans le Sud, les premières troupes stationnent à Joufra, à plus de 200 km. Ce qui laisse une liberté d’action dont entend profiter l’EI. «La stratégie semble être de consolider leur base principale de Syrte en essayant de contrôler des routes vers le sud», estime Mary Fitzgerald, spécialiste des mouvements islamistes en Libye. L’armée se contente de faire du renseignement en captant les conversations radio ou en se reposant sur des informateurs sur place. C’est ainsi que les responsables militaires ont pu constater l’arrivée massive d’étrangers notamment venus des pays du Golfe, de Tunisie ou d’Afrique subsaharienne. Et des Européens ? « On nous dit qu’il y en a, mais nous n’en avons jamais entendu», répond un opérateur radio. Deux Français, un Lyonnais de 19 ans et un Marseillais de 20 ans ont été arrêtés mi-novembre en Tunisie, près de la frontière libyenne, soupçonnés d’avoir voulu se rendre dans des camps d’entraînement de l’EI.
Le coût de ces informations est très élevé. En juillet, un jeune homme est crucifié sur un poteau électrique pour espionnage. Une mise en scène macabre payante, puisque, de l’aveu même de la chambre opérationnelle de Misrata, les informations de l’intérieur se sont taries. «La plupart des habitants sont de tradition bédouine, explique Imad. Ne pas fumer, ne pas écouter de la musique, ce n’est pas forcément choquant pour eux. Par contre, la population a de plus en plus l’impression d’être dirigée par des étrangers. Quand je vais voir mes parents, ce sont des Soudanais qui m’accompagnent, comme si je ne connaissais pas le chemin !»
Certains espèrent une intervention militaire extérieure, à l’image du premier raid aérien contre l’Etat islamique en Libye mené par les États-Unis le 13 novembre pour tuer l’Irakien Abou Nabil, un des chefs de l’EI dans le pays, annoncé mort par le Pentagone - Abou Ali al-Anbari, haut responsable irakien de l’EI en Syrie, serait arrivé par bateau à Syrte, selon une information du New York Times. D’autres, comme l’homme politique Abderrahman Sewehli, originaire de Misrata, estiment que seule une coalition armée issue des deux clans politiques rivaux peut éradiquer l’Etat islamique. «Si des pays étrangers bombardent Syrte, cela ne fera que renforcer les jihadistes et fera basculer nos jeunes dans l’extrémisme. Daech n’attend que ça», assure-t-il.

Montée des prêches

La radicalisation, c’est sur ce point que se focalise maintenant l’Etat islamique. La semaine dernière, la brigade Rada, de tendance salafiste quiétiste non jihadiste, qui cogère la sécurité dans la capitale libyenne, a arrêté Mohamed Atkitek, le chef des affaires religieuses à Tripoli, pour le questionner sur la montée des prêches takfiriste dans les mosquées. En juin, l’organisation a perdu le contrôle de Derna au profit d’autres mouvements jihadistes, mais elle continue d’être présente dans l’Est, à Benghazi, où elle combat contre les forces de Khalifa Haftar, le bras armé du Parlement de Tobrouk. Les jihadistes, surtout, s’étendent à l’ouest. La preuve avec un camp d’entraînement situé à Sabratha, à 170 km de la frontière tunisienne.
Le 19 novembre, un Libyen et un Tunisien venant de Sabratha sont arrêtés avec des ceintures explosives à un barrage alors qu’ils se dirigeaient vers la Tunisie. «L’Etat islamique a enlevé cinq de nos gardes pour faire un échange. Nous avons accepté», explique un notable. Les terroristes responsables des attentats du Bardo et de Sousse, en Tunisie, auraient séjourné dans ce camp. «Les différents groupes se revendiquant de l’EI épousent à chaque fois le contexte local, explique Mary Fitzgerald. La coordination entre eux ne semble pas très développée à ce stade. Ils vont probablement continuer à organiser des attaques isolées. Avoir été expulsés de Derna a été un choc pour eux.» Elle n’écarte cependant pas la possibilité d’une opération en Europe depuis la Libye «si l’EI continue à étendre sa présence dans le pays».
(1) Le prénom a été modifié.

Source :  http://www.liberation.fr/

Poutine va-t-il aussi intervenir en Libye contre l’Etat islamique?

Les autorités libyennes sont prêtes à coordonner leurs actions avec la Russie dans la lutte contre l'Etat islamique (Daech) si Moscou engage une opération en Libye, a annoncé mardi Abdallah al-Thani, premier ministre du gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale.
"Nous souhaitons que les Russes s'engagent dans la lutte contre l'Etat islamique [sur le territoire libyen, ndlr]. Notre gouvernement est prêt à coordonner ses démarches avec eux au plus haut niveau", a déclaré M. al-Thani à l'agence Sputnik.
Selon le premier ministre, les autorités libyennes salueront l'initiative de n'importe quel pays qui les aidera à rétablir la stabilité.
"Nous saluerons l'initiative positive de n'importe quel Etat qui nous apportera son soutien en vue de rétablir la stabilité. Nous reprochons aux pays européens de nous avoir aidé à renverser Kadhafi, mais de n'avoir apporté aucune assistance à l'édification de notre Etat. On sait qu'il est plus facile de détruire que de construire", a souligné Abdallah al-Thani.
D'après lui, les autorités libyennes s'attendent à l'arrivée d'un grand nombre de djihadistes fuyant les frappes aériennes russes en Syrie. Beaucoup d'entre eux sont déjà arrivés.
"En réalité, les chefs militaires de Daech ne sont pas Libyens. Ils sont Algériens, Syriens, Afghans, et ils se trouvent actuellement en Libye", a conclu le premier ministre.
Hannibal GENSERIC