mardi 27 septembre 2016

USA: le clown et la furie




La politique américaine a beau se caricaturer elle-même, elle continue de fonctionner à merveille, comme si de rien n’était. La campagne électorale égrène les poncifs, elle multiplie les coups en dessous de la ceinture, la bêtise et l’injure tiennent lieu d’arguments, mais rien n’arrête cette machine à décerveler le bon peuple. Résignés, les citoyens ingurgitent cette potion débilitante à haute dose, ils la digèrent jour après jour. Et le 8 novembre, une majorité finira bien par se rendre aux urnes, suffisante en tout cas pour accréditer le mythe de la démocratie au royaume des multinationales.

Le milliardaire échevelé contre la coqueluche de Wall Street, le clown xénophobe contre l’égérie des néo-cons, le pourfendeur de Latinos contre l’exécutrice hilare de chefs d’État : l’alternative est désespérante. Il est frappant, pourtant, que les médias dominants diabolisent exclusivement Donald Trump. En France, on peut lire un panégyrique à la gloire d’Hillary Clinton dans « L’Obs », mais on trouvera difficilement l’équivalent en faveur de son adversaire. Pour le système, la messe est dite. Trump, c’est le vilain, le macho, le raciste. Hillary, c’est la femme à poigne, passionnée, un tantinet belliqueuse certes, mais tellement attentionnée à l’égard des minorités, et puis « elle est démocrate quand même ».
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Pourquoi les médias du système détestent-ils Trump ? Ce n’est pas parce qu’il dit que les immigrés sont des voleurs ou qu’il veut interdire aux musulmans l’entrée sur le territoire des USA. Cette démagogie de bas étage, les médias n’y trouveraient rien à redire.
En France, par exemple, le vomi d’un Zemmour ne l’empêche pas d’avoir table ouverte sur toutes les chaînes.
De même, sa prose haineuse d’impuissant dégénéré ne prive pas Houellebecq de prix littéraire.
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La vraie raison de l’hostilité du système médiatique à l’égard de Trump, par conséquent, est ailleurs. Et il suffit de regarder son programme, au-delà des outrances, pour voir que le milliardaire donne quelques coups de pied dans la fourmilière.
Le premier coup de pied, il l’envoie au dogme néo-conservateur. Pour le candidat républicain, la politique étrangère de Barack Obama est un fiasco dont il faut tirer les leçons. Or cette condamnation emporte aussi bien les interventions militaires directes (Irak, Afghanistan, Libye) que les tentatives de déstabilisation indirecte (Syrie). Aucun candidat investi par l’un des deux grands partis pour une élection présidentielle n’a jamais été aussi incisif sur le sujet. On pensera de lui ce qu’on veut, mais Trump est contre l’intervention militaire des USA à l’étranger lorsque leurs intérêts vitaux ne sont pas en jeu. Il le dit clairement : la guerre par procuration en Syrie, comme l’intervention en Libye, ont semé un chaos dont Barack Obama et Hillary Clinton sont responsables. Difficile de lui donner tort.
Évidemment, il dénonce avec la même vigueur le cynisme de la politique consistant à utiliser les djihadistes au Moyen-Orient. Se servir des terroristes qui ont frappé les USA le 11 septembre 2001 (avec, il est vrai, la participation active de la CIA) pour affaiblir ses ennemis est une aberration contre laquelle Trump ne cesse de fulminer. Et il est consternant de voir que cet argument de bon sens, en France, n’effleure même pas la droite (responsable du désastre libyen), ni le PS (responsable du désastre syrien), ni une extrême-gauche qui doit sans doute lire Marx en tenant le livre à l’envers. Le réactionnaire Trump (il l’est en effet) refuse que son pays collabore avec Al-Qaïda. Le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste !!), lui, demande des armes contre Assad et manifeste devant l’ambassade de Russie.
Le second coup de pied dans la fourmilière, nos médias serviles en parlent peu. On comprend pourquoi ! De même qu’il récuse le néo-conservatisme en casque lourd et le cynisme au petit pied des apprenti-sorciers du djihad, Trump récuse le libre-échangisme. Il critique l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et dénonce une globalisation qui est responsable de la destruction des classes moyennes nord-américaines. Cette « calamité », dit-il, a provoqué la fermeture de 60.000 usines et la destruction de cinq millions d’emplois industriels aux États-Unis en quinze ans. Mais il y a pire. Horreur absolue, Trump propose d’augmenter les taxes sur les importations étrangères. Il est contre la libéralisation effrénée du commerce mondial et pour la protection de la production nationale. Dans ce qui reste d’une classe ouvrière ruinée par la concurrence chinoise, cet éloge du protectionnisme passe beaucoup mieux que les odes d’Hillary Clinton aux droits des LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres).
Si l’on ajoute que Trump envisage ouvertement de renouer le dialogue avec la Russie, on comprend que sa campagne sème l’inquiétude au sommet d’un « establishment » qui entendait tirer les ficelles d’une élection courue d’avance. Outrancier et xénophobe, Trump ne dérangerait pas outre mesure les intérêts dominants s’il n’était, en même temps, le défenseur d’une couche entrepreneuriale arrimée au sol américain, un brin chauvine, et « isolationniste » car elle ne tire pas ses profits de la mondialisation. Il a bâti sa fortune personnelle avec l’immobilier, le catch et la télévision, des activités tournées vers le marché intérieur et typiquement nationales. Les intérêts que représente le richissime « self-made man » sont évidemment les intérêts d’une fraction de l’oligarchie capitaliste. Mais cette fraction n’inclut pas des multinationales de l’armement, de l’énergie et de l’agro-alimentaire décidées à se gaver sans limites des dividendes de la mondialisation.
Trump « versus » Clinton, ce n’est pas le peuple contre l’oligarchie, ni la « droite » contre la « gauche ». Ces notions n’ont en l’espèce aucun intérêt analytique. Comme Clinton, Trump veut que les USA soient plus puissants que jamais. Il ne voit aucun autre horizon à cette puissance que le développement d’un capitalisme sans complexe. Mais la fraction du capital dont il est le représentant exige que ce développement se fasse à moindre coût et s’appuie sur une réindustrialisassions du pays.
Trump est contre le Traité Trans-Pacifique (TTP), Clinton veut son maintien.
Trump critique l’extension de l’OTAN, Clinton veut la poursuivre.
Pour gagner la compétition économique mondiale, Clinton veut accélérer la mondialisation à l’abri d’un appareil militaire démentiel. Trump veut assigner des limites à la mondialisation et protéger l’économie nationale des turbulences planétaires. L’une veut prolonger à tout prix le « chaos constructif », l’autre a compris que cette stratégie était périlleuse pour tout le monde.
C’est Hillary Clinton, et non Donald Trump, qui incarne la prétention narcissique à dominer le monde et à s’approprier ses ressources. Entourée de généraux, la « reine du chaos » clame sa détermination à restaurer le leadership de Washington sur les affaires planétaires. Brandissant les « droits de l’homme » comme une Mère Fouettarde, elle a annoncé l’arrêt de mort de Bachar Al-Assad si elle était élue. Fière de son opération de « regime change » en Libye, elle en a couiné de plaisir : « We came, we saw, he died ! ». Elle entend semer les graines de la démocratie et du marché auprès des populations arriérées qui n’ont pas encore le bonheur de connaître « l’american dream ». Mais cette furie n’hésitera pas à recourir aux vertus roboratives des missiles de croisière pour traiter les récalcitrants.
Le complexe militaro-industriel, la finance new-yorkaise et le lobby sioniste (pour les deux derniers, c’est un peu la même chose) sont de tout cœur avec Hillary Clinton. Les USA étant une ploutocratie à l’état pur, elle devrait l’emporter. Son succès annoncé en fanfare par une presse internationale servile est dans l’ordre des choses. Les facéties de son adversaire paraissaient taillées sur mesure pour lui ouvrir un boulevard, la fonction du clown de service étant de faire ressortir la crédibilité de son adversaire. Visiblement, ce n’était pas suffisant. Volant au secours d’une candidate fatiguée, Barack Obama a alors accusé Donald Trump de complicité avec Vladimir Poutine, curieusement assimilé à Saddam Hussein. La ficelle est grosse, mais aux USA toutes les ficelles sont grosses. Tout sera bon, jusqu’au 8 novembre, pour favoriser la candidate du système, sauf accident de parcours …

Bruno Guigue | 24 septembre 2016